EXCLUSIF – La loi doit interdire aux accompagnateurs de sorties scolaires le port de signes d’appartenance religieuse, écrivent des intellectuels dans une tribune collective publiée dans le Figaro.
Par Tribune Collective
Publiée le 7 novembre 2019
Monsieur le Président,
« Le port du voile dans les services publics, à l’école, quand on éduque nos enfants, c’est mon affaire », avez-vous déclaré.
C’est bien le cœur de la question. Mais l’école de la République est-elle circonscrite aux murs d’un bâtiment ?
Le débat sur le port de signes religieux par des accompagnateurs de sorties scolaires n’est pas nouveau. À la suite de l’affiche de la FCPE présentant une accompagnatrice voilée, assortie du slogan : « Oui, je vais en sortie scolaire, et alors?», et de la légende suivante: «La laïcité, c’est accueillir tous les parents sans exception», puis du déplorable incident impliquant un élu du Rassemblement national, le sujet flambe, souvent dans la plus grande confusion. Il faut donc y revenir.
La réglementation actuelle ne fait pas du port de signes d’appartenance religieuse ou politique un droit absolu pour les accompagnateurs bénévoles. Cette liberté qui leur est actuellement accordée a pour conditions le bon fonctionnement du service et l’absence de trouble à l’ordre public, lesquels sont appréciés par le directeur d’école ou le chef d’établissement – de sorte qu’un éventuel refus puisse être précisément motivé. Mais, en l’absence de règle générale claire, tout est renvoyé (comme lors de l’affaire de Creil en 1989) aux enseignants sur le terrain et reste très sensible aux fluctuations de l’opinion.
Il nous paraît nécessaire d’interdire l’affichage religieux ou politique par les personnes accompagnant occasionnellement les élèves lors de sorties scolaires
Il conviendrait de considérer non pas le statut des personnes ni le lieu mais la nature de l’activité. Dès lors qu’il s’agit d’une activité scolaire, liée à un acte d’enseignement, on est bien dans le cadre de l’école, quels que soient le lieu et les personnes impliquées. À plus forte raison si la sortie est obligatoire. Or c’est ce que la réglementation actuelle traite de manière inadéquate en distinguant ce qui a lieu dans les murs et hors les murs de l’école.
Pourtant, rappelons que l’article L.141-5-2 du code de l’éducation s’applique aussi « hors les murs » : «L’État protège la liberté de conscience des élèves. Les comportements constitutifs de pressions sur les croyances des élèves ou de tentatives d’endoctrinement de ceux-ci sont interdits dans les écoles publiques et les établissements publics locaux d’enseignement, à leurs abords immédiats et pendant toute activité liée à l’enseignement. »
Les personnes extérieures sont sollicitées pour encadrer les sorties scolaires à défaut de personnel disponible. En principe, c’est le personnel de l’Éducation nationale, astreint au respect du principe de laïcité, qui devrait assurer ces accompagnements. Ce n’est donc pas une jouissance de droit pour ces personnes. On les sollicite non pas pour leur proposer une promenade, mais parce que l’Éducation nationale n’a pas les effectifs suffisants pour assurer un service. En prêtant leur concours, les accompagnateurs extérieurs bénévoles contribuent à l’intérêt général. On doit les en remercier. Mais le service changerait-il de nature du fait qu’on recourt momentanément à des personnes extérieures ? Voilà qui semble difficile à établir. En cas d’accident, les accompagnateurs scolaires sont considérés comme des auxiliaires de vie scolaire et pris en charge comme tels.
« Soutenir le droit à porter des tenues ostensibles d’appartenance religieuse ou politique, c’est négliger la protection due aux élèves par la puissance publique qui les accueille dans son école »
À écouter les médias, il semble aller de soi que les bénévoles sont des parents d’élèves, et plus particulièrement des mères. Il n’en est rien. Le directeur d’école peut solliciter ou accepter la collaboration d’accompagnateurs qui ne sont pas des parents. Et s’il s’agit de parents d’élèves, pourquoi insister tant sur les mères ?
L’accompagnement scolaire serait-il une spécialité féminine et plus particulièrement maternelle ? Veut-on attendrir l’opinion et brouiller son jugement ? Les parents accompagnants n’accompagnent pas leur enfant – contrairement à ce que toute une production médiatique empreinte de sentimentalisme familialiste tente actuellement de nous faire croire – mais la classe entière.
Ajoutons que l’activité scolaire n’est pas destinée aux parents, comme le suggère l’affiche de la FCPE, mais aux élèves.
Si l’on accepte des mères portant un signe d’appartenance religieuse, il faut donc aussi accepter des « papas » portant kippa, kamis, turban et poignard… Faut-il accepter aussi des personnes portant des signes syndicaux ou politiques ? Un tee-shirt de la Manif pour tous, par exemple ?
Soutenir le droit des accompagnateurs scolaires à porter des tenues ostensibles d’appartenance religieuse ou politique, c’est négliger la protection due aux élèves par la puissance publique qui les accueille dans son école. Et cela témoigne d’une bien étrange conception de ce qui est requis pour « protéger la liberté de conscience des élèves ».
L’école publique doit-elle s’aligner sur le modèle fusionnel, intrusif de la « maman » tel qu’il nous est présenté ad nauseam non sans arrière-pensées ? Nous pensons que non. Le terme de « maman », utilisé dans l’affaire, introduit un biais sentimental et pathétique. Qui voudrait maltraiter une « maman » ? De plus, il suppose une conception de l’école qui ne soustrait pas les élèves à leur milieu, une école renvoyée sans cesse à son extérieur, au tourbillon social autant qu’au huis clos familial.
Or l’école a vocation à dépayser sereinement les élèves, à les convier à un ailleurs. C’est d’abord cela, apprendre ; c’est cela, faire l’apprentissage exigeant de la réflexion et s’accoutumer à la distance critique.
« Respiration laïque »
Des mères accompagnatrices souhaitent peut-être aussi vivre un moment qui les dégage de leur environnement et de leurs obligations communautaires, faire en d’autres termes l’expérience de la « respiration laïque ».
L’élève qui ôte ses signes religieux en entrant à l’école publique et qui les remet en sortant fait cette expérience : il échappe, par cette alternance, aussi bien à la pression sociale de son milieu qu’à une uniformisation officielle d’État.
Croire qu’une femme portant le voile serait incapable de comprendre et de pratiquer cette alternance, la renvoyer sans cesse à l’uniformité d’une vie de « maman voilée », c’est la mépriser et la fixer dans un rôle social. L’exempter de cette alternance libératrice, c’est cautionner, en la banalisant, la normalisation politico-religieuse qui fait du port du voile une obligation et un signe de « bonne conduite » islamique. Cela revient à dire à chaque musulmane : « Tu peux porter le voile tout le temps et partout, donc tu le dois. » C’est désarmer et abandonner celles qui, nombreuses, ne le portent pas, luttent pour ne pas le porter et entendent échapper au lissage de leur vie.
Plutôt que de laisser professeurs, directeurs d’école et chefs d’établissement, sur une question aussi conflictuelle, apprécier seuls au cas par cas le degré de prosélytisme d’une tenue ou d’un signe, plutôt aussi que de laisser l’extrême droite s’emparer perversement d’un débat qui divise, ne faudrait-il pas le trancher, et ainsi l’apaiser par intervention législative, comme cela fut le cas en 2004 pour les élèves ?
Les signataires de la tribune sont: Catherine Kintzler, philosophe ; Elisabeth de Fontenay, philosophe; Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste ; Fatiha Agag-Boudjahlat, enseignante, essayiste, féministe universaliste pour la laïcité ; Charles Arambourou, magistrat honoraire, militant laïque (UFAL) ; Laurent Bouvet, cofondateur du Printemps républicain, professeur de science politique ; Martine Cerf, secrétaire générale d’Égalité Laïcité Europe (EGALE) ; Marieme Hélie Lucas, sociologue, directrice du réseau « Secularism Is a Women’s Issue » ; Liliane Kandel, sociologue ; Eddy Khaldi, président de la Fédération nationale des délégués départementaux de l’Éducation nationale (DDEN) ; François Rastier, linguiste, directeur de recherches au CNRS ; et Jean-Pierre Sakoun, président du Comité Laïcité République.